LE CHANT DES GOUMS
Zidou l'goudem, Zidou l'goudem
Ecoutez le chant des Tabors.
Marchez toujours, marchez quand même
Jusqu'à la fin, jusqu'à la mort
Tout en hurlant "Zidou l'goudem!"
C'est la dure loi du Tabor.
Vêtus de nos robes de laine,
Nous avons laissé nos troupeaux,
Notre montagne ou notre plaine
Pour ne connaître qu'un drapeau,
C'est le fanion d'un capitaine.
Notre destin est le plus beau.
Regardez les goums qui passent
L'œil brûlant comme des loups.
Quoi qu'on dise, ou quoi qu'on fasse
Il faut bien compter sur nous.
Hannibal et sa légende
Ne sont plus qu'un bruit très lointain.
Nous avons promené nos bandes
De l'Atlas par-delà le Rhin
Dans le rang des GTM.
A l'appel du grand Auroch,
Retentit "Zidou l'goudem!"
Pour la France ! Pour le Maroc
Rappelle-toi la Tunisie
Au temps de nos premiers assauts,
Rappelle-toi la frénésie
Qui s'empara de notre peau
Lorsqu'au Zaghanan - adieu la vie.
Nous nous battîmes au couteau.
Sur le sol de la voie Appienne,
Nous avons traîné nos pieds nus.
Puis ce fut la course vers Sienne
L'ennemi fuyait éperdu.
Des baisers des belles romaines
Petit goumiers, te souviens-tu ?
Le beau 15 Août, ce fut la France
Qui nous reçut, les bras tendus,
Nous apportant la récompense
Du bonheur enfin revenu.
Marseille et toute la Provence
Ont chanté quand ils nous ont vu.
Coureurs de bled, coureurs d'espace,
Bien serrés dans nos djellabas,
Il fallut poursuivre la chasse
Pendant l'hiver ô sombres mois
Mais nous entrâmes en Alsace
Teintant de rouge le verglas.
Après le Rhin, la Forêt Noire,
Nous vit surgir tels des démons.
On se ruait vers la victoire.
Par un soir d'avril, nous plantions,
Ah! Le beau soir d'or de gloire,
Dans le Danube nos fanions.
On chantera, la chose est sûre,
Pendant 100 ans et beaucoup plus,
Les exploits et les aventures
De ceux qui se sont tant battus.
Goumier à la robe de bure,
Tu peux rentrer dans ta tribu.
Bien qu’existant depuis le début de la pacification du Maroc, les
goums
mixtes marocains ne sont sortis de l’anonymat qu’au cours de la
seconde
guerre mondiale et plus encore après le débarquement en Provence.
Sur
les routes, dans les zones de combat, la pittoresque silhouette des
goumiers,
vêtus de leurs djellabas couleur d’écorce, coiffés de leurs rezzas de
laine,
chaussés de nails, portant un barda hétéroclite, marchant en
colonnes,
tirant derrière eux leurs brèles (mulets), a suscité la curiosité des
correspondants
de guerre et des Français qui les voyaient passer. Les uns et
les
autres, même ceux qui étaient militaires, en sont restés aux apparences,
ne
sachant pas très bien ce qu’étaient ces unités qui se présentaient comme
des
tabors alors qu’ils étaient composés de goumiers.
À peine plus de cinq ans après leur engagement en Indochine,
les
goums mixtes marocains ont quitté l’armée française pour former
l’armée
royale marocaine. S’ils sont encore, ô combien ! présents dans la
mémoire
de leur ancien encadrement, leurs sacrifices et leurs faits d’armes
sont
méconnus ou oubliés.
Pour bon nombre de lecteurs civils et militaires peut-être guère
plus
initiés les uns que les autres, il est indispensable de commencer par
définir
un goum mixte marocain, un tabor, et de faire revivre brièvement leur
histoire.
Dès leur origine, en 1908, les goums mixtes marocains ont été
conçus
pour être un moyen politique et militaire spécialement adapté à la
pacification
du Maroc. Ni chérifiens (c’est-à-dire relevant du sultan), ni
supplétifs
ainsi qu’il est souvent avancé, les goums marocains, comme les autres
unités
de l’Armée d’Afrique, relèvent des troupes métropolitaines. Ils
sont
régis par les instructions ministérielles du 9 août 1913, du 15 février
1937,
et par l’article 46 de la Loi des cadres et effectifs de
1928.
Toutefois, ils se distinguent à plus d’un titre des autres troupes
régulières.
Au Maroc, les goums (compagnies) sont des unités formant corps,
composées
en principe de trois sections d’infanterie, d’un peloton de
cavalerie,
d’un groupe de mitrailleuses (renforcé ultérieurement d’un groupe de
mortiers)
et d’un échelon muletier, d’où leur appellation de goums
mixtes
marocains. Quand ils seront engagés sur des théâtres extérieurs, les
cavaliers
se transformeront généralement en fantassins.
Le capitaine gère les masses d’habillement et d’équipement, paie
la
solde. Il n’y a pas d’ordinaire. Les goumiers sont au « prêt franc »,
c’est-àdire
qu’ils perçoivent une prime d’alimentation journalière pour se
nourrir.
En opérations hors Maroc, s’ils ne peuvent pas faire autrement,
les
goumiers se nourrissent de rations qu’ils n’aiment pas beaucoup,
notamment
le « pain de guerre ». Les célibataires se regroupent par affinité
pour
faire popote et en particulier leur kesra (pain). Les goumiers mariés
vivent
en famille et logent dans l’enceinte du poste ou à proximité, dans
des
douars construits par eux.
Nul Marocain ou Français ne sert dans les goums sans être
volontaire.
Les officiers et sous-officiers français viennent des différentes armes,
surtout
de l’infanterie. Les Marocains sont directement et
personnellement
recrutés par le commandant de goum. À l’issue d’une période d’essai,
ils
s’engagent pour un contrat de deux ans renouvelable, sans pouvoir
toutefois
dépasser quinze ans de service, à l’issue desquels ils perçoivent
un
pécule 1. Recrutés de préférence dans les tribus guerrières, sont choisis
en
priorité les Berbères de l’Atlas central, du Rif et du Sud marocain, un
certain
dosage dans les tribus étant respecté. L’avancement des Marocains
se
fait au choix et au sein du goum. La hiérarchie est la suivante :
maoun
(caporal), maoun aoual (caporal-chef ), mokkadem (sergent),
mokkadem
aoual (sergent-chef ). Le grade de mzelem (adjudant) est décerné
exceptionnellement
par le commandement des goums.
Au Maroc, les goums sont employés directement par le service
des
Affaires indigènes et sa hiérarchie : bureau, annexe, cercle et région.
Le
commandant de goum appartient statutairement au corps des Affaires
indigènes,
car il remplit aussi des fonctions de contrôle de
l’administration
marocaine, surtout quand le goum n’appartient pas à un tabor. Cette
mis-
sion de contrôle est la raison pour laquelle les officiers marocains
sortant
de l’école de Dar-el-Beida, bien que dirigée par des officiers des
Affaires
indigènes, servent seulement dans les régiments de tirailleurs
marocains.
Les goums participent à tous les combats de la pacification du
Maroc
où ils jouent un rôle de plus en plus important au fil du temps. Leur
nombre
passe de six goums en 1908, à seize en 1914, vingt et un en
1917,
vingt-sept en 1924, quarante-huit en 1933 et enfin cinquante-sept à
l’approche
de la guerre. C’est à cette époque qu’est homologué l’insigne
des
goums. Exécuté en métal vieil argent, il représente un poignard
marocain,
une koumia, portant en lettre rouge GMM (goum mixte marocain)
.
En mai 1940, la mobilisation des goums par dérivation permet la
mise
sur pied de cent vingt-cinq goums. Certains sont regroupés en
bataillons
appelés groupements de goums, dont quatre seront dirigés sur la
ligne
Mareth en Tunisie.
Après la défaite de 1940, le résident général Noguès conserve cent
deux
goums, dont huit puis douze groupements (bataillon de trois ou
quatre
goums). Pour les camoufler aux yeux de la commission d’armistice
italienne,
il les transforme fictivement en forces de police marocaines
baptisées
« mehallas chérifiennes ». Pour ce faire, il reprend les
anciennes
appellations des unités de l’armée marocaine d’avant le protectorat.
Les
groupements de goums deviennent des tabors chérifiens. Le général
Guillaume,
directeur adjoint des Affaires politiques, raconte par quel tour
de
passe-passe l’augmentation très substantielle des fonds secrets alloués à
la
résidence (un milliard) a permis l’entretien des effectifs des unités
camouflées.
Le budget du protectorat aurait été bien incapable de supporter
cette
charge supplémentaire.
Les Allemands qui remplacent les Italiens ne sont dupes qu’un
court
instant. Dès mars 1941, ils exigent la réintégration des goums dans
les
effectifs de l’armée d’armistice. En dépit des contrôles stricts effectués
par
les commissions d’armistice, les goums, au cours de manoeuvres secrètes
au
coeur de l’Atlas, continueront à s’entraîner collectivement au niveau
du
tabor et du groupe de tabors marocains (régiment de trois tabors) et
à
employer l’armement lourd et collectif sorti de ses caches.
Ainsi, après le débarquement américain, les 1er et 2e GTM peuvent,
dès
la fin 1942, reprendre le combat en Tunisie. Par la suite, les goums se
distinguent
en Sicile, où le IVe tabor est la seule unité française
présente,
durant les combats de la libération de la Corse (2e GTM), au cours de
la
phase d’exploitation de la bataille du Garigliano (1er, 3e et 4e GTM),
lors
sion de contrôle est la raison pour laquelle les officiers marocains
sortant
de l’école de Dar-el-Beida, bien que dirigée par des officiers des
Affaires
indigènes, servent seulement dans les régiments de tirailleurs
marocains.
Les goums participent à tous les combats de la pacification du
Maroc
où ils jouent un rôle de plus en plus important au fil du temps. Leur
nombre
passe de six goums en 1908, à seize en 1914, vingt et un en
1917,
vingt-sept en 1924, quarante-huit en 1933 et enfin cinquante-sept à
l’approche
de la guerre. C’est à cette époque qu’est homologué l’insigne
des
goums. Exécuté en métal vieil argent, il représente un poignard
marocain,
une koumia, portant en lettre rouge GMM (goum mixte
marocain).
En mai 1940, la mobilisation des goums par dérivation permet la
mise
sur pied de cent vingt-cinq goums. Certains sont regroupés en
bataillons
appelés groupements de goums, dont quatre seront dirigés sur la
ligne
Mareth en Tunisie.
Après la défaite de 1940, le résident général Noguès conserve cent
deux
goums, dont huit puis douze groupements (bataillon de trois ou
quatre
goums). Pour les camoufler aux yeux de la commission d’armistice
italienne,
il les transforme fictivement en forces de police marocaines
baptisées
« mehallas chérifiennes ». Pour ce faire, il reprend les
anciennes
appellations des unités de l’armée marocaine d’avant le protectorat.
Les
groupements de goums deviennent des tabors chérifiens. Le général
Guillaume,
directeur adjoint des Affaires politiques, raconte par quel tour
de
passe-passe l’augmentation très substantielle des fonds secrets alloués à
la
résidence (un milliard) a permis l’entretien des effectifs des unités
camouflées.
Le budget du protectorat aurait été bien incapable de supporter
cette
charge supplémentaire .
Les Allemands qui remplacent les Italiens ne sont dupes qu’un
court
instant. Dès mars 1941, ils exigent la réintégration des goums dans
les
effectifs de l’armée d’armistice. En dépit des contrôles stricts effectués
par
les commissions d’armistice, les goums, au cours de manoeuvres secrètes
au
coeur de l’Atlas, continueront à s’entraîner collectivement au niveau
du
tabor et du groupe de tabors marocains (régiment de trois tabors) et
à
employer l’armement lourd et collectif sorti de ses caches
4.
Ainsi, après le débarquement américain, les 1er et 2e GTM peuvent,
dès
la fin 1942, reprendre le combat en Tunisie. Par la suite, les goums se
distinguent
en Sicile, où le IVe tabor est la seule unité française
présente,
durant les combats de la libération de la Corse (2e GTM), au cours de
la
phase d’exploitation de la bataille du Garigliano (1er, 3e et 4e GTM),
lors
de la libération de Marseille (1er, 2e et 3e GTM), dans les Vosges (1er, 2e
et
3e GTM) et enfin en Allemagne (1er, 2e, et 4e GTM).
Les pertes des goums au cours de la guerre sont de soixante-cinq
officiers,
cent trente-trois sous-officiers français, mille six cent vingt-trois
gradés
marocains et goumiers tués, cinq mille neuf cent
soixante-quatorze
blessés, dont cent vingt officiers. Sur le drapeau commun des goums,
remis
officiellement place de la Bastille le 14 juillet 1945 par le général de
Gaulle,
sont alors inscrits : Maroc, Tunisie, Sicile, Corse, Italie, France,
Allemagne.
À la fin de la guerre, le ministre des Armées prévoit la dissolution
des
goums. Après arbitrage du général de Gaulle, cinquante goums
sont
conservés. Trente-quatre d’entre eux forment corps et seize sont
regroupés
en quatre tabors dits « de tradition ». Chacun d’eux a la charge de
maintenir
les traditions du GTM dont il est l’héritier. Le Ier tabor porte ainsi
l’insigne
du 2e GTM, le IIIe tabor celui du 1er GTM, le Xe tabor celui
du
3e GTM, et le VIIIe tabor celui du 4e GTM.
Environ dix mille goumiers sont alors licenciés, au moment où le
Maroc
connaît une sécheresse terrible . Dans certaines régions, le Rif par
exemple,
il ne tombe pas une goutte d’eau pendant quinze mois. L’argent
que
représentaient les soldes n’est plus là pour faire vivre les familles, alors
que
la famine menace les tribus qui ont le plus participé à la
Libération.
Le tabor, composé d’un goum de commandement et d’appui (GCA)
et
de trois goums de combat, se doit d’être apte aux missions susceptibles
de
leur être confiées. La cohésion et l’entraînement physique des
goumiers
sont maintenus au meilleur niveau par des tournées de nomadisation
en
montagne d’une quinzaine de jours et à l’occasion des manoeuvres
divisionnaires.
L’instruction au tir reste soutenue. Mais les premiers
tabors
désignés pour l’Extrême-Orient ne semblent pas avoir été
sérieusement
préparés aux conditions particulières du combat en
Indochine.
Au début de 1947, se pose la question de la relève des combattants
français,
débarqués deux ans plus tôt en Indochine et arrivant en fin de
séjour.
En raison de l’insuffisance numérique des troupes coloniales « blanches
»,
les engagements se révélant beaucoup trop faibles, la France ne peut
plus
fournir les effectifs qu’exige cette relève sans envisager d’envoyer des
troupes
indigènes ou le contingent. En Indochine, en janvier 1947, le
haut-commissaire
envisage « l’emploi de trois tabors dans la haute région du Tonkin
».
Le commandant en chef, le général Valluy, reprend à son compte
cette
idée : « Dans l’éventualité où les ressources en troupes blanches de la France
se
trouveraient épuisées, je suggère qu’on ait recours aux tabors marocains.
Leur
emploi en zone montagneuse me permettant de réserver pour le delta
d’autres
unités… » Devançant les objections, il ajoute : « Je ne me dissimule pas
par
contre les inconvénients politiques que cette solution extrême, mais
peut-être
nécessaire, risque de présenter. » Il n’ignore pas l’hostilité du chef
d’étatmajor
de la Défense nationale. Le général Juin, compte tenu de la
situation
en Afrique du Nord, est en effet opposé à l’envoi de troupes
nord-africaines
en Indochine. Après l’agitation nationaliste qui vient
d’enflammer
l’Afrique du Nord, il lui semble préférable de garder ces troupes sur
place.
De surcroît, il ne trouve pas très opportun de les mettre en contact avec
la
rébellion indochinoise.
Le Conseil des ministres du 1er février 1947 commence par refuser
l’envoi
de troupes nord-africaines et sénégalaises en Indochine. Mais le
gouvernement
ne tarde pas à changer d’avis. Envoyer en Indochine
uniquement des Européens en nombre suffisant suppose le recours
au
contingent et l’allongement du service militaire à dix-huit mois. Le
général
Juin, chef d’état-major de la Défense nationale, ne souhaite pas le
départ
des tirailleurs et des goumiers pour l’Indochine. Nommé résident
général
au Maroc, il voit dans cette décision l’avantage de pouvoir rengager
les
goumiers licenciés en 1946 et de soulager ainsi la misère que
connaissent
les tribus atteintes par la sécheresse. De nombreux anciens goumiers
n’attendent
pas le départ des tabors pour reprendre du service dans les trois
premiers
bataillons de tirailleurs marocains en partance pour l’Indochine
7.
Les Xe, VIIIe et IIIe tabors ne tardent pas à les suivre et débarquent au
Tonkin
entre le dernier trimestre 1948 et le premier semestre 1949.
L’effectif
d’un tabor est de sept cent soixante-cinq hommes, dont treize officiers
et
quarante-huit sous-officiers français. L’encadrement français peut se
révéler
insuffisant lors des phases critiques du combat, comme ce sera le cas sur
la
RC 4, au moment où un goum perd ses deux officiers, voire son
adjudantchef.
Sur ce plan, les tabors ont un handicap qui doit être souligné. En
comparaison,
au départ de That Khe, les tabors disposaient de deux fois
moins
d’officiers que le 1er BEP (vingt-quatre officiers dont cinq par
compagnie).
Quant aux tirailleurs marocains, chaque bataillon bénéficie de vingt
officiers,
dont deux Marocains, et de soixante-seize sous-officiers.
Les cadres des tabors sont le plus souvent des anciens des campagnes
de
1942-1945. Un certain nombre de sous-officiers, de mokkadems et
même
de simples goumiers sont décorés de la Médaille militaire,
quelques-uns
de la Légion d’honneur.
Quelles raisons ont incité les goumiers à aller se battre en Indochine
?
Depuis des temps immémoriaux, les Berbères ne se sentaient vraiment
des
hommes qu’une arme à la main. Ils étaient toujours prêts à quitter
le
dénuement de leurs montagnes pour répondre à l’appel d’un chef de
guerre
ou du djihad lancé par les sultans. Croire qu’ils aient pu se
considérer
comme des combattants de l’Union française est peu réaliste. Cette
nouveauté
était trop désincarnée et ne correspondait à rien de concret,
même
pour leurs cadres français. Croire aussi qu’ils aient été animés d’un
quelconque
anticommunisme ne peut pas non plus être retenu. Ils
ignoraient
tout de cette idéologie. Leur atavisme guerrier et leur attachement au
chef
connu expliquent leur engagement plus que d’autres raisons. Sans se
poser
de questions, ils combattaient tout naturellement pour la France
puisque
c’était le combat de leurs chefs.
Le capitaine Feaugas n’a laissé à personne d’autre le soin de recruter
les
goumiers de son tabor : « Lorsqu’en 1950 il s’est agi de compléter les
effectifs
du Ier tabor, je sollicitai des autorités de Rabat l’autorisation de me rendre
en
tribu Ait Serrouchen et Marmoucha dans l’Atlas central. Étaient originaires
de
ses tribus la plupart des goumiers qui avaient effectué avec moi les
campagnes
d’Italie et de France et qui avaient été rendus à la vie
civile.
Plus de cinq cents candidatures s’étaient manifestées alors que je ne
disposais
que de deux cents places. Il me fallut non seulement procéder à une
première
éliminatoire que je confiai au médecin, mais, ce crible se révélant
insuffisant,
il fut nécessaire d’effectuer une sélection fondée sur les antécédents guerriers
de
chacun. Or chaque candidat s’efforçait de me mettre en mémoire ses
propres
exploits en les exaltant quelque peu afin de me convaincre qu’il était le
meilleur,
et que je me devais de l’emmener… Je dois à la vérité de dire que j’eus
bien
des difficultés à établir un choix définitif parmi tous ces montagnards
berbères
qui me manifestaient ainsi une confiance qui ne se démentit jamais et que
l’un
d’eux résumait dans cette phrase toujours présente à ma mémoire : “Là où
tu
iras, nous irons avec toi”.
Cette fidélité, cet attachement au chef connu, ils l’ont prouvé en quittant
non
seulement leurs tribus, mais leur pays, leur Afrique, pour la terre lointaine
d’Indochine
à la nature totalement inconnue et qui rapidement se révéla hostile.
»
Le séjour des goums en Indochine va poser des problèmes de
tous
ordres, propres au territoire ou à leur emploi.
Sur le plan sanitaire, les goumiers auront à souffrir des maladies
tropicales
et paradoxalement à pâtir de coups de chaleur, leur organisme
n’étant
pas habitué à un climat chaud et très humide différent de celui de
leurs
pays d’origine. Leur résistance au Tonkin n’est guère meilleure que
celle
des Européens, d’autant qu’ils ne se prémunissent pas d’instinct
comme
au Maroc contre certains dangers. Par exemple l’eau claire courante,
présumée
saine au Maroc, ne l’est pas en Indochine. Certains
commandants
de goums et de tabors ont répugné à partir sans leurs sahabs
chevronnés
(compagnons d’armes), mêmes si ceux-ci n’étaient plus aptes sur le
plan
physique. Après les déboires survenus dans ce domaine, le
commandement
des goums à Rabat a rappelé encore une fois en juillet 1951 : « Les
goumiers
volontaires pour servir en Extrême-Orient doivent être choisis non parce
qu’ils
ont donné des preuves de courage pendant la dernière campagne
1942-1945,
mais parmi les jeunes de dix-huit à trente ans de constitution robuste.
Inutile
d’envoyer des goumiers atteints de paludisme. » 10
Toujours pas de roulantes ni de gamelles pendant les périodes de
remise
en condition, mais des goumiers débrouillards cuisinant pour leurs
camarades.
L’officier des détails du tabor et les chefs comptables des goums
effectuent
à leur intention des achats en gros de certaines denrées chez
les
commerçants chinois ou s’en procurent d’autres auprès de
l’Intendance
parfois en rupture de stock, le couscous notamment 11. Satisfaire les
goûts
des goumiers n’est pas toujours aisé, surtout en ce qui concerne la
viande
qu’ils préfèrent, celle de mouton, qu’il faut faire venir obligatoirement
sur
pieds d’Australie, lors du sacrifice de l’Aïd Kébir. Le poids et la taille de
ces
bêtes, inhabituels pour des Marocains, suscitent l’étonnement et
l’admiration
des goumiers. Pendant les opérations, ils se nourrissent de
rations
« nord-africaines ».
Sur le plan de la solde et des indemnités, pour des raisons
injustifiées
aux yeux de leurs cadres, les goumiers ne sont pas sur un pied
d’égalité
avec les tirailleurs et encore moins avec les soldats métropolitains. Ainsi
la
prime d’alimentation journalière (prêt franc) est inférieure de trois
piastres
sous le prétexte qu’ils ne boivent pas de vin. Or, à la place, ils prennent
du
thé ! L’indemnité spéciale d’Indochine et la prime de départ colonial
accordées
aux métropolitains leur sont refusées.Les prestations familiales
des
goumiers comme celles des tirailleurs marocains et tunisiens «
n’atteignent
pas le quart des allocations perçues par les militaires algériens » 13. Le
commandement
devra déployer beaucoup de persévérance pour essayer d’obtenir
un
alignement sur les tirailleurs.
Les goumiers ont une autre source de préoccupation. Comment
placer
leurs économies ? Les mandats envoyés aux familles étaient parfois taxés
d’un
prélèvement indu effectué par des intermédiaires (postiers, chaouchs,
caïds).
Le placement traditionnel des Berbères réside dans l’achat de bétail. Or
trop
souvent, le goumier apprenait que les moutons, dont les siens avaient
fait
l’achat pour lui, étaient morts fort opportunément. Pour remédier à cet
état
de fait, le commandement des goums avait décidé la création d’une
Caisse
d’épargne au Maroc. Rabat détenait un livret, le double étant conservé
par
le chef comptable. À leur retour, les goumiers seront très satisfaits du
total
qu’ils percevront. Car outre les intérêts, les sommes versées auront été
largement
bonifiées par le taux de change très favorable de la
piastre.
Les premiers tabors envoyés en Indochine sont arrivés avec leurs
armes
de dotation : mousquetons, tromblons VB, Sten, mitrailleuses
Hotchkiss,
pas toujours adaptées ou obsolètes (les munitions VB n’existant plus
au
Tonkin). Elles seront progressivement remplacées en cours de séjour par
des
Mas 36, des PM 38, des carabines US et des mitrailleuses de 30. Lors
de
la première relève, il a été décidé que dorénavant le tabor arrivant
prendrait
en compte l’armement laissé par celui qui était rapatrié. Le
remplacement
des PM 38 par des PM 49 n’interviendra qu’en janvier 1951. À son
arrivée,
le XVIIe tabor percevra directement des Mas 49.
Les tenues de combat n’ont pas posé de problème jusqu’à l’arrivée
des
tabors en zone frontière du nord-est. L’Intendance de Langson disposait
d’un
stock de six mille tenues venant des surplus britanniques de l’Inde qu’il
fallait
épuiser. Les Ier et XIe tabors arrivant directement furent habillés sur
place.
Le commandant du XIe tabor a déploré amèrement de voir ses
goumiers
vêtus de treillis couleur « de ce vert criard, sulfate de cuivre ou bouillie
bordelaise,
qui nous désigne dans la rizière, dans la jungle, dans l’herbe à paillote
ou
sur les calcaires comme autant de cibles » 14. En vingt-quatre mois
d’opérations,
les équipements et l’optique s’usaient rapidement. Le VIIIe tabor,
isolé
à Dong Khe jusqu’à son départ, a dû passer ses matériels à son successeur,
le
XIe tabor, sans avoir pu les faire réviser, recompléter ou échanger en
temps
voulu. Ces modalités ayant nécessité des délais, le XIe tabor est donc
parti
pour les combats de la RC 4 « sans avoir reçu ce qui a été demandé à cor et
à
cri, outils portatifs, instruments d’optique (jumelles boussoles). Nos
équipements
sont hétéroclites, mi-cuir, mi-toile. Ils sont reliés par des bouts de ficelle »
15.
Les matériels de transmission ne sont pas toujours adaptés, en
particulier
le SCR 694 conçu pour être utilisé sur véhicule et non pour être
transporté
à dos d’homme sur un terrain très accidenté. Pour servir ces postes, des
opérateurs
graphistes, venant de la compagnie des télégraphistes coloniaux de
la
ZOT, sont affectés aux goums. Les autres postes SCR 536 ou 300 sont
mis
en oeuvre par des goumiers. Ils ne sont pas très fiables et leurs piles se
détériorent
rapidement dans ce climat, comme l’a souligné le général
Revers.
Quant à l’emploi tactique des tabors à leur arrivée au Tonkin, le
commandement
des goums à Rabat estime qu’il n’est pas celui qui serait
souhaitable.
En effet, les trois premiers tabors ont été engagés séparément
et
utilisés dans le delta tonkinois et non en zone montagneuse, leur terrain
de
prédilection. Or les succès des goums pendant la dernière guerre
résultaient
pour une large part de leur emploi judicieux. Dans une
instruction
du 15 juillet 1943, nº 423/EMCG/3/CEF, qui gardait toute son
actualité
au moment de la guerre d’Indochine, le général Juin précisait les
possibilités
des goums telles qu’elles ressortent de leur recrutement et de leur
encadrement
: « Le goumier se caractérise essentiellement par ses qualités
de
montagnard et sa rusticité. Robuste, très endurant, marcheur infatigable,
il
sait remarquablement utiliser le terrain et est un observateur hors pair. Il
est
d’une grande sobriété et peut se suffire pendant plusieurs jours avec le
faible
volume de vivres qu’il emporte avec lui…
Le goum est une unité légère et mobile… il constitue une véritable
cavalerie
à pied… l’encadrement des goums en personnel français est réduit
(deux
officiers, huit sous-officiers) ; il n’y a pas, comme dans la troupe régulière,
l’ossature
européenne qui permet de faire face à toutes les situations et qui
amène
l’indigène à surmonter la peur dans les moments difficiles.
»
Le général Juin précisait les conditions d’emploi des goums : « En
règle
générale le goum ne doit jamais être utilisé isolément, c’est plutôt le groupe
de
tabors qui doit rentrer en jeu. Le commandement, appelé à utiliser une
formation
de goums, se gardera de brider l’action de celle-ci en lui imposant des
règles
rigides… mais laissera la plus grande initiative dans l’exécution. Dans
l’offensive,
les goums seront spécialement qualifiés pour les missions de
renseignement,
de coup de main en particulier de nuit, pour la manoeuvre de résistances
isolées,
pour la dislocation des arrières ennemis, pour l’exploitation du succès,
les
exécutions de manoeuvre de débordement…. Dans la défensive les goums
ne
peuvent agir que par la manoeuvre. Il ne faut en aucun cas leur imposer de
tenir
un front. »
De cette instruction ressort une règle essentielle concernant
l’emploi
des tabors : éviter leur fractionnement. Celui-ci, en effet, peut avoir
comme
conséquence de subordonner ces derniers à des chefs ayant une
connaissance
superficielle de leurs possibilités.
Le commandement des goums estime donc qu’il faut revenir à une
pratique
qui a fait ses preuves. Il demande la création d’un groupe de
tabors
marocains. Le général Juin appuie cette requête. Avec l’aval de Paris, il
désigne,
le 14 octobre 1949, les officiers suivants pour en former l’état-major
:
– Lieutenant-colonel Le Page, chef de corps.
– Chef de bataillon Labataille, adjoint.
– Capitaine Ruef, chef d’état-major.
– Capitaine Battle, 3e bureau.
– Lieutenant Oudot de Dainville, 1er et 4e bureaux.
Marcel Le Page, né le 6 mars 1900, s’engage par devancement d’appel
en
août 1918. Le 1er octobre 1921, il est admis à l’école militaire d’artillerie
de
Fontainebleau. Volontaire pour le Maroc, il rejoint en mai 1925 le 64e
RAA,
avec lequel il participe à la guerre du Rif et à la réduction de la tache de
Taza.
Il est cité à l’ordre de l’armée. Il demande ensuite à servir dans les goums.
Il
se distingue pendant les dernières opérations au Maroc et plus
particulièrement
au cours du combat d’Hassi El-Kerma (anti-Atlas) où, jeune
capitaine,
il a sous ses ordres les 26e, 27e et 37e goums. Il est fait chevalier de la
Légion
d’honneur à titre exceptionnel. En 1944, en Italie, comme chef
d’escadron,
il commande un groupe du 69e RAA au sein de la Division marocaine
de
montagne. Après le débarquement en Provence, lors la bataille des Alpes,
on
lui confie le commandement du détachement interarmes de la vallée
de
l’Ubaye qui s’empare notamment du col de Larche. Titulaire de sept
citations,
dont deux palmes, il est alors élevé au grade d’officier de la
Légion
d’honneur. Promu lieutenant-colonel, il est nommé d’abord chef du
cercle
d’Inezgane, puis adjoint au contrôleur civil du territoire de Beni
Mellal
Son second, le chef de bataillon Maurice Labataille, né le 25 mars
1905,
est un officier de réserve activé en 1931. Il sert au 5e RTS au Maroc où
il
est cité. Après un séjour au Sénégal, il est admis dans le corps des
Affaires
indigènes. Commandant le VIe tabor, il participe à la campagne de
Tuni-
sie au cours de laquelle il est cité à quatre reprises. Il passe alors des
troupes
coloniales à l’infanterie et est affecté à la région de Rabat. Après un
séjour
en Palestine comme observateur de l’ONU, il rejoint le
commandement
des goums à Rabat.
Ces officiers sont réunis à Rabat début novembre où ils
séjournent
jusqu’au 7 décembre. Cette période de démarches et d’attente permet
de
se connaître et de roder l’équipe. Un goum de protection est recruté
et
confié au capitaine Battle, qui en prend provisoirement le
commandement
pour le conduire en Indochine par voie maritime. Les autres
officiers
embarquent par voie aérienne via Paris.
Le lieutenant-colonel Le Page décide de créer un insigne pour ce
nouveau
GTM qui prend le nom de Groupe de tabors marocains
d’Extrême-Orient
(GTMEO). Le lieutenant de Dainville est mis à contribution. Il fait appel
à
son père, directeur des archives départementales de l’Hérault, héraldiste
et
dessinateur. Le cercle figure le globe terrestre sur lequel s’étend l’Union
française.
Les goums, incarnés par leur insigne, la Koumia, transpercent le
dragon
mythique extrême-oriental qui symbolise le communisme asiatique.
Le
croissant et l’étoile rappellent qu’ils appartiennent aux troupes
marocaines.
Lorsque quelques semaines plus tard arriveront à Langson les insignes
commandés,
les tabors ne montreront guère d’enthousiasme pour porter les
nouveaux
à la place des anciens insignes de tradition auxquels ils étaient
attachés.
D’octobre 1948 à 1951, sept tabors sont engagés au Tonkin. Ils
seront
envoyés sur les points chauds où ils s’useront à la tâche. Les premiers
tabors
(Xe, VIIIe, IIIe tabors) sont d’abord employés dans le delta. Ils
participent
aux grandes opérations dont l’objectif est la conquête et l’élargissement
du
secteur de Sontay.
Ensuite, pour faire face à la pression ennemie en pays thaï (secteur
nordouest),
le VIIIe tabor aura la responsabilité du sous-secteur de Moc
Chau,
le Xe tabor celle de la région sud de Lao Kay.
Enfin, la menace principale se faisant jour sur la frontière du
nord-est
avec l’arrivée des troupes communistes, les trois tabors sont envoyés sur
la
RC 4. Le GTMEO, créé le 1er janvier 1950 à Langson, les regroupe
alors.
Au début de l’été 1950, les Ier et XIe tabors remplaceront les Xe
et
VIIIe tabors rapatriables.
Après les combats de la RC 4, le groupe léger de tabors marocains,
où
les Ier, IIIe et XIe tabors sont réduits à deux goums de combat,
participera
aux derniers combats sur la RC 4 et à la défense du delta, avec le
renfort
du XVIIe tabor, débarqué au Tonkin début janvier 1951.
Le groupe de tabors marocain d’Extrême-Orient est définitivement
dissous
le 21 janvier 1951. Mais les anciens tabors de la RC 4, les 1er
et
XIe tabors, vont continuer de s’illustrer respectivement sur la RC 6 et
au
pays thaï jusqu’à leur retour au Maroc.